Pourquoi la déflation est un cauchemar (et autres questions)
Les prix en janvier ont baissé de 0,4% par rapport au même mois de 2014. Et le gros mot en “D” revient dans le débat…
La déflation est-elle à nos portes ?
Les prix ont reculé de 1% en janvier (effet soldes), mais aussi de 0,4% sur un an, indique l’Insee ce jeudi 19 février. La déflation tant redoutée ? L’Insee n’emploie pas ce gros mot, ses responsables se contentant de constater une “inflation négative”. Dans une note publiée en décembre, deux économistes de l’institut de statistiques, Aurélien Fortin et Kevin Milin, prennent bien soin de souligner que les deux ne sont pas synonymes. L’inflation négative, c’est une préoccupation qui peut n’être que passagère ; la déflation, c’est un cauchemar absolu qui s’auto-entretient.
Pourquoi craint-on tant la déflation ?
On a tendance à penser que la déflation (une baisse des prix et des salaires généralisée) est l’inverse de l’inflation (une hausse des prix et des salaires généralisée). Mais les conséquences de l’une et de l’autre sont sans commune mesure.
L’inflation, finalement, n’est pas quelque chose de si grave : c’est un phénomène qui complique les anticipations (et donc les prises de décision) et qui, lorsqu’elle s’emballe parfois, doit être stoppée par un douloureux plan de rigueur.
La déflation, en comparaison, c’est l’armageddon de l’économie : une spirale infernale, ou plutôt un système de trois spirales infernales, qui entraine tout le monde vers le bas.
1 – La baisse des prix entraîne le report des achats (car on parie sur le fait que demain, tout sera moins cher), ce qui entraîne la baisse de la demande, ce qui entraîne la baisse des prix…
2 – La baisse des prix entraîne la baisse des marges des entreprises, ce qui entraîne la baisse des salaires et des investissements, ce qui entraîne la baisse de la demande, ce qui entraîne la baisse des prix…
3 – La baisse des prix entraîne la baisse des marges des entreprises et des salaires, ce qui entraîne des difficultés pour rembourser les dettes des entreprises ou des ménages (le poids des dettes, comparé aux revenus, grossit mécaniquement) ce qui pèse sur la demande, ce qui alimente la baisse des prix (a contrario, l’inflation est une bonne nouvelle pour les débiteurs).
Pourquoi l’Insee ne s’affole pas (encore) ?
Tant que l’inflation “sous jacente” reste stable, les statisticiens restent calmes. C’est le cas aujourd’hui. L’inflation “sous-jacente”, dans le jargon de l’Insee, c’est celle qui ne prend pas en compte les produits volatils (à commencer par le pétrole) et les tarifs publics. Elle n’est censée mesurer que la dynamique “normale” des prix de marché, donc. Elle était en janvier positive, de 0,2% sur un an.
La situation actuelle n’en est pas moins alarmante. Si l’on regarde la courbe des prix depuis 2012, elle ne fait que baisser et même les conjoncturistes l’Insee n’excluent pas le passage de la gentille “inflation négative” à la méchante “déflation”. Ce qui déclencherait ce passage, c’est un recul des salaires. Inimaginable ? Pas pour les deux économistes de l’Insee :
À plus long terme, si les prix baissaient durablement, il ne peut toutefois être exclu que certains épisodes de baisses de salaires nominaux, comme l’a récemment connu l’Espagne, concernent également d’autres pays de la zone euro”.
Qui est responsable de la situation ?
Quels pays connaissent aujourd’hui des symptômes déflationnistes ? Ceux de la zone euro. Il est légitime d’en conclure que les politiques économiques qui y ont été menées sont erronées.
Ces pays, à commencer par l’Allemagne et la France, ont sous-estimé l’effet des coupes budgétaires sur l’activité et l’emploi. Ils ont même encouragé les baisses de rémunération des fonctionnaires dans les pays les plus touchés par la crise : on ne peut imaginer plus efficace pour nourrir la déflation.
Dès 2010, le FMI les a mis en garde contre l’austérité généralisée à tous les pays de la zone. La prise de conscience des dangers n’a cependant eu lieu que très tardivement. Des mesures ont été annoncées ou prises pour éviter l’accident : le plan d’investissement de la commission Junker, la mise en place de politiques monétaires “non conventionnelles” par la Banque centrale européenne (le fameux “quantitative easing”), l’instauration d’un Smic en Allemagne… Trop tard ?
Les sables mouvants
Agir pour prévenir la déflation est possible : les Etats, se substituant à une demande privée défaillante, peuvent se charger de soutenir l’économie. Mais il ne faut pas tarder, car lorsque la déflation s’est installée, même les mesures de relance n’ont plus d’effet. Elle est comme les sables mouvants : si on y entre, difficile d’en sortir.
La France est déjà tombée dans ce piège dans les années 30, avec les conséquences politiques que l’on sait. Le Japon a lui aussi découvert la déflation dans les années 1990 : l’économie nippone, florissante dans les année 80, a été cassée net, et le pays a toujours du mal à s’en remettre.
Est-on déjà ans cette situation ? Difficile de le savoir encore. La zone euro connaît depuis maintenant deux mois des taux d’inflation négatifs et les salaires ont baissé dans plusieurs de ses pays. En France, ce n’est pas encore le cas, mais les pressions sur les salaires sont très fortes ; et le taux d’endettement des ménages ne cesse de grimper, il dépasse 80% des revenus.
La note des deux économistes de l’Insee, Aurélien Fortin et Kevin Milin se termine par un gros point d’interrogation, assez angoissant :