Cour constitutionnelle allemande et BCE / l’économiste Sapir contre le journal le monde.

Le livre de l’économiste hétérodoxe Sapir “Faut-il sortir de l’euro” date de 2012, il ne peut donc être confronté aux récents développement depuis 2014 et 2015 et notamment les importants transferts qui ont eu lieu entre l’Allemagne, l’UE et la Grèce. Sapir indique que l’euro n’a de sens ainsi qu’un taux de change commun dans des pays très différents que s’il existe une redistribution entre Etats membres, redistribution qu’il assimile parfois à une subvention. L’actualité récente semble suggérer que les Etats prennent cette voie, malgré certaines réticences constitutionnelles en Allemagne. Le livre de Sapir est particulièrement intéressant à bien des égards, mais il peut aussi être fortement critiqué ou même réfuté sous d’autres aspects. Je m’attache aujourd’hui à questionner le bien fondé d’un point souligné par l’auteur à deux reprises : le parachèvement d’une zone euro optimale passant par un “fédéralisme budgétaire” passerait pas des concessions de la part des Etats les plus riches envers les Etats les plus pauvres que ne peut pas accepter l’Allemagne du fait de ces oppositions répétées à ces transfert par la cour constitutionnelle allemande, qui n’est autre que la cour constitutionnelle de Karlsruhe. Selon lui, à la page 31 de son ouvrage :

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1er extrait, page 31 et 32

“On a beaucoup glosé alors en France sur les déchirements de l’Allemagne, soi disant contrainte d’abandonner “son” Deutschemark. Mais, en réalité, cet abandon était largement bordé par des précautions constitutionnelles multiples. Le tribunal de Karlsruhe devait en effet préciser, dans l’arrêt qu’il rendit le 12 octobre 1993 à l’occasion de la ratification du traité de Maastricht, que le passage à la monnaie unique devait se faire dans le cadre d’une communauté de stabilité monétaire: cette conception de l’union monétaire, communauté de stabilité monétaire est le fondement de la loi allemande. Le principe d’une mutualisation de la dette est ainsi anticonstitutionnel pour la cour constitutionnelle de Karksruhe. Elle l’a réaffirmé dans l’arrêt qu’elle a rendu au début de septembre 2011 en réponse à une question portant sur la constitutionnalité de l’accord du 21 juillet 2011 sur le sauvetage de la Grèce. Les hommes et femmes politiques peuvent tout à loisir parler des eurobonds ou d’une monétisation directe de la dette qui serait réalisée par des avances de la BCE… La porte a été fermée par la cour de Karlsruhe.”

NDLR : les eurobonds et la monétisation des dettes en Europe ont déjà été réalisés, au moins en partie, par l’important programme d’assouplissement quantitatif entrepris par la BCE depuis quelques mois, et qui risque de s’intensifier. Ce programme d’assouplissement quantitatif ayant eu d’ailleurs pour effet de faire chuter le taux de change USD/EUR d’environ 1,35 à 1,10 et maintenant 1,07. C’est tout à fait normal de constater pareille évolution lorsque les banques centrales injectent des liquidités aux intermédiaires négociant de la dette publique ou privée et en plaçant dans son bilan les titres et dettes ainsi achetées.

2ème extrait, p. 68

“L’Europe fédérale est condamnée. Non tant par les “souverainistes” de tout bord que par l’Allemagne elle-même. La supériorité des règles et lois nationales sur les directives européennes a été affirmée, une nouvelle fois, en Allemagne lors d’un arrêt de la Cour de Karlsruhe. L’arrêt du 30 juin 2009 stipule en effet qu’en raison des limites du processus démocratique en Europe, seuls les Etats nations sont dépositaires de la légitimité démocratique.” Selon Sapir, ces arrêts sont tirés et explicités dans un rapport du sénat français : Rapport d’information n°119, session ordinaire 2009-2010, édité à Paris en 2009.

NDLR : la question de savoir si les règles européennes sont au dessus de la souveraineté nationale peut être également relevé ironiquement lorsque Manuel Valls, premier ministre socialiste de la France a par exemple déclaré devant l’assemblée nationale que le budget de l’Etat français est une décision qui relève de la souveraineté nationale (plutôt qu’européenne).  Cette vision des choses est cependant mise à mal par un encadré du supplément économie du quotidien le monde daté du 12 novembre 2015 et qui explique, certes sans justifier ses sources et la véracité de ses informations, mais néanmoins contredit Sapir et ce rapport du sénat :

3ème extrait, le monde, supplément économie daté du 12 novembre 2015:

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“RECOURS ALLEMAND CONTRE LA BCE”
Plusieurs recours contre le programme de rachat de dette (le “QE” pour quantitative easing en anglais ou assouplissement quantitatif en français) de la BCE ont été déposés devant la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, a révélé, mardi 10 novembre Bloomberg. L’une de ces actions a été émise par Peter Gauweiler, un ex-député conservateur bavarois eurosceptique. Il estime que la BCE ne respecte pas son mandat, qui est de maintenir l’inflation autour de la cible de 2%, en rachetant des titres d’emprunts publics – une mesure qui, selon lui, pourrait créer de l’inflation (NDLR: c’est pourtant le but !!! avec une inflation à 0% !!!, l’article du monde serait-il mal écrit?) La BCE a déjà fait l’objet de plusieurs actions de ce genre auprès de la Cour allemande, qui n’a pas de pouvoir direct sur elle.

NDLR : Pourquoi la Cour n’a-t-elle pas de pouvoir auprès de la BCE ? Telle est la question à laquelle il faut répondre en faisant une analyse juridique afin de déterminer la primauté de telle juridiction sur telle juridiction, du droit européen sur le droit national ou vice versa. Deux réponses peuvent être possible : 1. La Cour n’a de toute manière pas de pouvoir sur la BCE au nom de la séparation moderne des pouvoirs entre les banques centrales et les exécutifs, séparation qui est la base de toute la théorie monétaire et de toutes les politiques monétaires modernes si l’on en croit un petit livre d’introduction sur les politiques monétaires que j’ai lu récemment. 2. La cour n’a pas de pouvoir sur la BCE du fait de la primauté de l’échelon européen sur l’échelon national et auquel cas Sapir aurait tort tout comme les termes et l’explication fournie par ce rapport du sénat français dans lequel, visiblement, Sapir, peut être non germanophone, aurait puisé cette information.

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