Puisque les banques rechignent à investir dans l’économie réelle, Peter Praet, l’économiste en chef de la banque centrale européenne, n’écarte pas une piste étonnante: “l’hélicoptère à monnaie”. En clair, donner directement de l’argent aux ménages et aux entreprises. Possible, mais pas sans risque.
Imaginez que votre compte en banque soit augmenté de plusieurs milliers d’euros d’un coup juste parce que la Banque centrale européenne (BCE) l’a décidé. Vous trouvez l’idée fantaisiste? Elle ne l’est pourtant pas totalement.
Peter Praet, membre du directoire et économiste en chef de la BCE, n’y a pas totalement fermé la porte. Le quotidien italien La Repubblica lui a demandé jeudi 17 mars si la banque centrale pouvait simplement imprimer des billets et les distribuer aux citoyens de la zone euro. Réponse du Belge: en théorie oui.
“Toutes les banques centrales peuvent le faire. Vous pouvez créer de la monnaie et la distribuer ensuite aux gens. C’est “l’hélicoptère à monnaie”‘, a-t-il répondu.
“Helicopter Ben”
“L’hélicoptère à monnaie”? Voilà une expression qui peut sembler bien déroutante pour les néophytes. En fait, elle fait référence à une image développée par le célèbre économiste libéral Milton Friedman en 1969 dans son livre The optimum quantity of money.
“Supposons qu’un jour un hélicoptère vole au-dessus de nous et lâche 1.000 dollars du ciel”, écrivait l’illustre professeur de l’université de Chicago.
Une métaphore visant juste à démontrer que créer de la monnaie n’a selon lui qu’un seul effet : créer de l’inflation.
L’image de l’hélicoptère a depuis perduré. En 1998 Ben Bernanke, futur président de la Réserve fédérale américaine (Fed), alors économiste à Princeton, suggère au gouvernement japonais de reprendre l’idée de Friedman pour sortir de sa spirale déflationniste. En 2002, il fait de nouveau référence à l’hélicoptère dans un discours sur le risque de déflation. Des interventions qui lui vaudront d’ailleurs le sobriquet peu flatteur d'”Helicopter Ben”.
Créditer les comptes
Sauf que l’idée est aujourd’hui en train de gagner un peu de terrain. En Suisse, une votation (un référendum) nommée “Monnaie pleine” va même être prochainement organisée. Cette initiative, comme l’explique Le Temps, reprend le concept développé par Friedman. “C’est la première fois dans l’histoire que la proposition figure à l’agenda politique d’un pays”, précise le quotidien suisse.
Pour ce qui est de la BCE, Mario Draghi ne va évidemment pas prendre les commandes d’un hélicoptère et s’amuser à déverser des flots de billets au-dessus des Européens. “L’idée de l’hélicoptère à billet serait de donner aux ménages et aux entreprises de la liquidité directement, sans l’intermédiaire du système bancaire”, rappelle Alan Lemangnen, économiste chez Natixis.
Jusqu’à présent, la BCE crée de la monnaie, mais indirectement. Elle agit sur divers instruments, et accorde des liquidités aux banques en espérant que celle-ci les transforme en argent “réel”, via le crédit aux entreprises et aux ménages.
Réparer la transmission
L’idée de l'”hélicoptère” est donc stimuler la demande pour créer de l’inflation. Les ménages et les entreprises se retrouveraient d’un coup plus riches, ce qui devrait les pousser à consommer à investir et consommer davantage. “À offre inchangée, il y aurait dès lors des pressions à la hausse sur les prix”, souligne Alan Lemangnen. Un scénario moins délirant qu’il n’y paraît au moment où la BCE ne cesse d’employer des mesures toujours plus fortes pour regonfler une inflation qui semble ne jamais vouloir repartir (-0,2% en février).
Autre avantage: “avec cette opération, la banque centrale passerait outre le secteur bancaire, le principal canal de transmission de la politique monétaire en zone euro”, poursuit Alan Lemangnen. “En effet, les banques peinent à transformer la liquidité créée par la BCE en crédit à l’économie réelle, tant pour des raisons d’offre que demande. Avec l’helicopter money, ce problème de transmission serait résolu.”, ajoute-t-il.
D’où l’intérêt pour la BCE de verser directement de l’argent à l’ensemble des acteurs économiques: les entreprises et les consommateurs. Mais a-t-elle le droit de procéder ainsi? “Aucune disposition dans les traités ne l’empêche de le faire. C’est donc tout à fait possible. Mais ce serait une révolution qui n’arriverait qu’à partir du moment où la BCE se retrouve au bout de sa politique monétaire actuelle”, répond Philippe Gudin, chef économiste Europe chez Barclays.
Des risques
“Il n’est pas sûr que ce soit impossible dans la mesure ou la BCE le fait déjà indirectement pour certains fonds de pensions et caisses de retraites. Elle crédite le compte des banques de ces agents puis demandent à ces mêmes banques de créditer les comptes de leurs clients”, abonde Jean-François Goux, économiste à l’Université Lumière –Lyon II.
Cette politique n’est néanmoins pas sans risques. “Une priorité pour la BCE serait d’éviter la thésaurisation. La banque centrale devra s’assurer que la liquidité donnée aux ménages est bien consommée et non épargnée. Autrement l’efficacité de la mesure serait significativement réduite”, souligne Alan Lemangnen.
A en croire Philippe Gudin, la mesure aurait un effet fort sur l’inflation. Mais le risque est que la hausse des prix se révèle trop forte “et que l’on doive ensuite remettre le dentifrice dans le tube”, explique-t-il, reprenant une expression chère à Jean-Claude Trichet.
Par ailleurs, Mario Draghi ne semble pas franchement emballé par l’idée. Une question lui avait été posée sur ce sujet lors de sa dernière conférence de presse. “On a bien vu qu’il était gêné et s’il n’a pas rejeté l’idée, il a indiqué qu’elle n’était pas discutée pour l’instant”, fait remarquer Philippe Gudin. Pour ce dernier la mesure reste toutefois envisageable “si jamais, par malheur, l’Europe connaît un ralentissement économique et le retour de la récession”.