Article de vulgarisation sur le QE

La BCE a mis jeudi 22 janvier en émoi nombre d’économistes en recourant au “Quantitative easing” (QE) : elle va acheter des titres de dettes d’Etat, à hauteur de 60 milliards d’euros par mois, entre mars 2015 et septembre 2016. Avant elle, les banques centrales américaine, britannique, japonaise ont utilisé cette méthode. Pourtant, cette décision est considérée par nombre de commentateurs comme extrêmement “aventureuse”.

# Le QE, qu’est-ce que c’est ?

Le QE, ou quantitative easing, est le fait, pour une banque centrale, d’acheter des actifs (en général des titres) avec de la monnaie qu’elle crée.

C’est donc un outil permettant d’injecter de l’argent dans les circuits de l’économie, avec l’espoir de la faire repartir.

On dit que la Banque centrale “fait tourner la planche à billet” ce qui est évidemment  une métaphore : il n’y a ni planche, ni billets,  juste un jeu d’écriture. La Banque centrale écrira dans ces registres la somme d’argent utilisée pour acheter les titres, et le tour sera joué.

# Pourquoi le QE est considéré comme exceptionnel ?

Normalement, quand une banque centrale veut attiser l’économie, elle ne recourt pas au QE. Elle se contente de prêter à très court terme un peu plus d’argent que d’habitude aux banques, afin de faire baisser les taux d’intérêt. Ces baisses de taux sont répercutées par les banques sur leurs clients, ce qui favorise les demandes d’emprunts. L’activité est ainsi attisée.

Lorsque les taux d’intérêts à court terme approchent de zéro, cet outil “conventionnel” ne fonctionne plus. Il faut donc trouver autre chose. Les banques ont recours à des outils moins orthodoxes (on dit : “non conventionnels”), à commencer par le QE.

Pour une banque centrale, le QE consiste à créer de la monnaie non plus pour financer l’activité de prêt des banques, mais pour acheter directement des titres sur le marché. De quels titres parle-t-on ? En général,  d'”obligations d’Etat” : des titres qui représentent une créance sur tel ou tel Etat et qui s’échangent sur le marché, de main en main, parfois depuis longtemps.

# Le QE permet-il de réduire la dette des Etats ?

C’est abusivement que l’on dit que BCE va “acheter de la dette”. Quand la Banque centrale achète ces obligations, initialement émises par les Etats, elle ne réduit pas les dettes publiques. L’argent qu’elle a créé ne va pas aux Etats : il  va aux détenteurs des titres, qui peuvent être des épargnants, des Sicav, des compagnies d’assurance, des banques, etc.

Comme quand vous achetez une Renault d’occasion : ce n’est pas Renault qui en profite, c’est le type qui vous la vend.

Ceux qui vendent ces obligations à la banque centrale reçoivent une somme d’argent qu’ils dépenseront ou qu’ils investiront : ce sont ces actes-là qui soutiendront (théoriquement) l’activité.

# Pourquoi la BCE pense-t-elle que le QE sera bon pour l’économie ?

L’objectif, c’est que ces investisseurs qui revendent à la BCE leurs titres seront poussés à faire des prêts ou des placements plus risqués. Les  obligations deviennent en effet moins intéressantes. Pourquoi ?

  • 1) La BCE achète donc des obligations.
  • 2) La demande de ce genre de titres augmente.
  • 3) Leur prix monte donc.
  • 4) Si le prix des obligations monte, leur rendement baisse.

Vous ne comprenez pas le point 4 ? Il faut alors se concentrer une minute, le temps de lire les trois paragraphes suivants.

Prenons l’exemple d’un Etat qui emprunte 100 euros (il n’est pas très gourmand, ok) qu’il promet de rémunérer à 3% par an. Cet emprunt prend la forme d’une émission de 10 obligations à 10 euros, qui sont ensuite librement négociées sur le marché.

Si la BCE achète ces obligations, la demande augmente, leur prix grimpe : c’est le résultat d’une bête loi de l’offre et de la demande. Par exemple, elles passent de 10 à 12 euros.

Le taux d’intérêt est toujours de 3%, mais pour calculer le rendement du titre, il faut désormais le rapporter à 12 euros au lieu des 10 euros de départ. Le rendement est donc passé de 3% à 2,5%.

On constate donc que le fait d’acheter massivement des obligations fait baisser leur rendement. Les investisseurs sont donc poussés vers d’autres type de produits que ces titres obligataires qui rapportent moins : les banques vont plutôt prêter l’argent à des entreprises ou à des particuliers, les autres vont s’intéresser à des investissements plus risqués, dans des start up, dans des des PME…

Autre avantage : la baisse des rendements obligataires, par effet de contagion, entraine une baisse des taux des prêts bancaires accordés. Là encore, ce sont des vitamines supplémentaires pour l’économie.

# Que fait la banque centrale des actifs achetés ?

Tant qu’elle en a la propriété, la banque centrale qui se livre à une opération de QE touche les intérêts versés sur les obligations d’Etat qu’elle achète. Ce qui ne manque pas de piquant : le serpent se mord un peu la queue.

Théoriquement, quand l’économie va mieux, la banque centrale revend les titres qu’elle a achetés. On dit qu’elle “stérilise l’opération” : elle détruit la monnaie qu’elle a créé temporairement, ce qui permettra d’éviter une poussée d’inflation.

Posséder des titres comporte un risque : celui de voir leur cours s’effondrer. Dans le cas qui nous occupe – le programme annoncé jeudi -, le risque a été “mutualisé” à hauteur de seulement 20% : c’est la BCE qui porte cette part du risque. Mais 80% des titres (et donc des risques) seront logés dans les comptes des banques centrales de chaque Etat (en France : la Banque de France).  Concrètement, chaque banque achètera des obligations de son gouvernement… La solidarité européenne ne portera donc que sur 20% du programme !

# Y-a-t-il un risque inflationniste ?

Si trop de monnaie circule par rapport à l’activité économique, l’inflation a tendance à pointer son nez.

Ce risque n’inquiète pas grand monde pour le moment : la zone euro est aujourd’hui menacée par la déflation (ce qui serait pour le coup  un vrai cauchemar), et non par l’inflation.

Un peu d’inflation ne nuit pas. Elle permettrait l’érosion douce des dettes, la poursuite de la baisse de l’euro (et donc un coup de pouce aux exportations), et certains ajustements (la gestion des salaires dans les entreprises, par exemple).

Ce que craignent les économistes anti-QE (et on en rencontre beaucoup en Allemagne), c’est que l’inflation s’emballe et fausse les calculs économiques.

# Pourquoi l’inflation serait-elle mauvaise pour l’économie ?

La réponse à cette question est loin d’aller de soi. Imaginez que l’on multiplie par 100 tous les prix, tous les salaires, et la masse monétaire en circulation. Ce serait une simple convention, qui n’aurait aucune incidence pour l’économie (la France avait d’ailleurs réalisé l’opération inverse en 1958, en créant le franc “lourd”).

Mais l’inflation n’est pas une simple convention orchestrée à l’avance. C’est un phénomène avec des gagnants et des perdants, où chacun – entreprise, salarié, épargnant, fournisseur – essaye de tirer son épingle du jeu, d’éviter de prendre du retard. Et ce phénomène a toujours tendance à s’emballer. Tôt ou tard, la banque centrale ou le gouvernement doit intervenir pour stopper cet emballement, par des hausses de taux d’intérêt douloureuses pour l’économie et/ou une politique d’austérité.

Le coût principal de l’inflation, c’est ce probable retour de bâton, qui fait chuter la croissance.

L’autre coût, c’est la déformation de la structure des prix relatifs. Les prix évoluent les uns par rapport aux autres. Si leur évolution est imprévisible, les entreprises prennent de mauvaises décisions. Ils renoncent par exemple à des projets d’investissements qui deviennent trop risqués.

Mais on n’en est pas là. Pour la BCE, l’urgence, n’en déplaise aux anti-QE, est de casser la spirale qui entraîne actuellement la zone euro vers la déflation.

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